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AnalyseLa dernière course de Caster Semenya

L'ultime recours de l'athlète sud-africaine devant la Cour européenne des droits de l'homme.

Elle lève le pouce gauche.

Caster Semenya

Photo : Getty Images / Francois Nel

Même si sa distance de prédilection est le 800 m, Caster Semenya court depuis des années un véritable marathon.

Elle en était à l'étape ultime, mercredi, à Strasbourg, où elle plaidait sa cause devant la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) dans l'espoir d'ouvrir la voie à d'autres athlètes hyperandrogènes.

L'athlète sud-africaine est née femme, mais sécrète un excès naturel d'hormones sexuelles mâles.

Même si elle détient deux médailles d’or olympiques et qu’elle est triple championne du monde sur sa distance, la Fédération internationale d’athlétisme a décidé, en 2018, qu’elle devait réduire son taux naturel de testostérone si elle voulait continuer à concourir dans les compétitions féminines.

Hors de question, a lors clamé la championne.

En 2019, le Tribunal arbitral du sport (TAS) a donné raison à la Fédération internationale en validant ce nouveau point de règlement.

Le jugement a été entériné en 2020 par le tribunal fédéral de Lausanne, qui invoquait le principe d’équité sportive. Dans son délibéré, le tribunal a statué qu'un taux de testostérone comparable à celui des hommes confère aux athlètes féminines un avantage insurmontable.

Ces deux échecs n'ont pas découragé Caster Semenya.

Le 11 juillet 2023 est la date de sa première victoire. La CEDH lui a enfin donné raison en statuant que la décision de la justice suisse constituait une atteinte à la vie privée et à de la discrimination.

Mon espoir est que World Athletics et, au-delà, toutes les organisations sportives prendront en compte la décision de la CEDH et veilleront à respecter la dignité et les droits des sportifs, avait alors déclaré l'athlète, victorieuse, en conférence de presse.

Elle fait un V avec l'index et le majeur droits.

La Sud-Africaine Caster Semenya

Photo : The Associated Press / Laurent Gillieron

Elle croyait que c’était la fin de son parcours du combattant. Sa joie aura toutefois été de courte durée.

Les autorités helvètes et World Athletics ont port la cause devant la CDEH. Ils ont invoqué que la décision du 11 juillet n’était pas unanime, puisque quatre juges contre trois avaient voté en faveur de l’athlète.

Cette fois, ce sont 17 juges qui devront décider de la cause.

C'est un jour important dans mon parcours en tant qu'être humain et athlète, a déclaré Semenya aux journalistes une fois arrivée à Strasbourg, en France, au siège de la CEDH. En 2009, je suis montée sur la plus haute marche du podium aux mondiaux de Berlin, juste après un examen sexuel et sachant que le monde jugeait mon corps et remettait en question mon sexe. Depuis 15 ans, j'ai persévéré avec dignité face à l'oppression.

Lors de l'audience de trois heures, Adrian Scheidegger, représentant le gouvernement suisse, a plaidé l'irrecevabilité de la requête et a affirmé qu'il n'y avait pas eu de violation de la Convention des droits de l'homme relatifs à la discrimination et à la vie privée.

Caster Semenya médaillée d'or du 800 m des Jeux olympiques de Rio en 2016, au centre de Francine Niyonsaba (à gauche) et de Margaret Wambui

Caster Semenya médaillée d'or du 800 m des Jeux olympiques de Rio en 2016, au centre de Francine Niyonsaba (à gauche) et de Margaret Wambui

Photo : Getty Images / Patrick Smith

Mlle Semenya a dû choisir entre sauvegarder son intégrité et sa dignité personnelles tout en étant exclue de la compétition, et subir un traitement nocif, inutile et soi-disant correctif. Et, je le répète, Mlle Semenya est une femme, a déclaré de son côté l’avocate de la double championne olympique, Schona Jolly.

La Grande Chambre constitue le recours ultime pour celle qui a vécu une véritable traversée du désert et qui est privée de compétition depuis 2023. Un manque à gagner considérable qui l'oblige aujourd’hui à faire un appel aux dons pour payer ses frais d’avocats, estimés à 250 000 $.

Le cas d'Annet Negesa

Au départ, World Athtletics avait exigé de l’athlète, si elle voulait revenir à la compétition, qu'elle suive un traitement hormonal pour réduire son taux de testostérone, une exigence qui s’est par la suite durcie. Les athlètes hyperandrogènes doivent aujourd'hui maintenir leur taux de testostérone sous le seuil de 2,5 nanomoles par litre pendant 24 mois au lieu de 5 nanomoles pendant 6 mois.

Dans toute cette affaire, World Athletics semble ne viser que les femmes : une femme naît avec des prédispositions génétiques avantageuses et on doit la condamner en la forçant à les réduire chimiquement, ce qui pourrait entraîner des conséquences dramatiques, comme cela a été le cas pour la coureuse ougandaise Annet Negesa.

Elle court aux mondiaux juniors à Moncton.

Annet Negesa

Photo : Getty Images / Chris Trotman

Cette championne d'Afrique du 800 m, qui présentait aussi un taux élevé de testostérone, a vu sa vie être brisée par les pressions de la Fédération internationale. Comme avec Caster Semenya, on lui a demandé de réduire son taux à un niveau acceptable si elle voulait continuer à concourir au niveau mondial.

Dans un témoignage à l'organisme Human Rights Watch, on apprenait que l'athlète avait, en 2012, subi une opération sans son consentement.

Elle pensait alors subir un traitement bénin. Il s'agissait en fait d'une orchidectomie (ablation de testicules internes). Jamais elle n’en avait été informée. Affaiblie, elle n'a jamais pu revenir sur la scène mondiale. Une enquête est en cours sur ces événements.

Que dire de Phelps, Bolt et Chara?

Devant de telles situations, plusieurs ont du mal à comprendre l'acharnement dont fait preuve World Athletics.

Si l'on suivait sa logique, la Fédération internationale devrait intervenir par rapport à la domination de certains pays africains dans les courses de fond et de demi-fond, compte tenu de certains avantages physiologiques et culturels dont ces athlètes bénéficient dès la naissance.

Que dire alors de l’avantage important dont a profité le nageur Michael Phelps pendant toute sa carrière : une envergure de 2,01 mètres et, surtout, d'immenses pieds, de pointure 47, qui lui servaient presque de palmes. Là encore, si l'on devait suivre la logique d’un avantage insurmontable, le nageur américain aurait dû être amputé!

Et que dire de la fusée jamaïcaine, l’homme le plus rapide du monde, Usain Bolt. Lorsqu’il court un 100 m, sa foulée est d’environ 2,70 mètres. Pour le suivre, ses adversaires doivent faire quatre pas de plus. Là encore, on pourrait s’interroger sur cet avantage naturel.

Plus près de nous, qu'aurait dû faire la Ligue nationale de hockey quand elle a vu arriver le géant slovaque Zdeno Chara? La terreur de Boston, qui mesurait 2,06 m (6 pi 9 po) et pesait 113 kg (250 lb) était considérée comme le joueur le plus grand de l'histoire du hockey avec, on l'avouera, un avantage indéniable là encore.

Avec tous les changements que vit notre société et ces questionnements sur l'identité de genre, il risque d'être bientôt très difficile de répondre adéquatement à ce qui constitue ou non un avantage insurmontable.

Caster Semenya ne porte pas uniquement sa cause pour son sport, mais pour tous les sports.

La championne sud-africaine devra attendre encore quelques mois pour connaître l’issue de sa cause et, peut-être, assister à la fin de son long calvaire.

Il ne s'agit pas de ma carrière, mais de défendre ce qui est juste, de porter la voix de celles qui ne peuvent pas se battre pour elles-mêmes et ouvrir la voie aux jeunes femmes afin qu'elles ne soient pas déshumanisées et discriminées, a-t-elle déclaré mercredi à sa sortie de l'audience.

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