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ChroniqueRed Bull a donné des ailes à Adrian Newey, et ça augure très mal

Un homme muni d'un casque d'écoute sur la tête regarde devant lui dans la ligne des puits avec un grand carnet à la main gauche.

Adrian Newey

Photo : Getty Images / Mark Thompson

Comment les Gaulois auraient-ils encaissé le coup si leur druide, Panoramix, leur avait annoncé qu’il réservait dorénavant sa potion magique aux Romains? On l’ignore. Mais placée devant le même genre de dilemme, l’écurie Red Bull a tout bonnement annoncé mercredi qu’elle avait accepté la démission d'Adrian Newey, plus grand concepteur et aérodynamicien de l’histoire de la F1.

Dans son autobiographie intitulée How to build a car (Comment construire une voiture?), Adrian Newey raconte les circonstances de son embauche par l’écurie Red Bull en 2005.

Quand il avait fait l’acquisition de l’écurie Jaguar pour lancer son programme de F1, le cofondateur de Red Bull Dietrich Mateschitz s’était fait conseiller d’embaucher Christian Horner comme patron d’écurie. Puis, au cours de la première saison d’existence de l’équipe, le pilote David Coulthard a plaidé auprès de Horner qu’il fallait absolument acquérir le talent d’Adrian Newey pour espérer un jour remporter le titre.

Horner s’est immédiatement investi de cette mission en courtisant Newey, qui dessinait alors les compétitives monoplaces de McLaren et qui avait auparavant permis aux monoplaces de Williams de régner sur le paddock. 

La situation s’est toutefois gâtée quand Newey a fait part de ses exigences salariales. Pour Mateschitz, il n’était pas question d’allonger une telle somme! Mais pour s’assurer de ne pas commettre une erreur, le cofondateur de Red Bull a fait un appel à son compatriote autrichien Gerhard Berger

– Est-ce que Newey vaut cette somme?

– Ça dépend de la valeur que tu accordes à un second tour, a répondu Berger, en faisant référence au tour de qualification qu’effectuent les pilotes après leur tour lancée.

Désormais convaincu qu’il en aurait pour son argent, le regretté Mateschitz a allongé les dollars sans rechigner. Et il ne l’a jamais regretté.

Au fil des ans, les monoplaces conçues par Newey ont remporté six championnats des constructeurs et sept championnats des pilotes. Et sa monoplace de la saison dernière, la RB19, s’est avérée la plus dominante de tous les temps en remportant plus de 95 % des épreuves auxquelles elle a participé.

Un respecté confrère du magazine Autosport, la bible du sport automobile, soulignait que Newey avait pris un pas de recul depuis quelques années et que, depuis, il ne consacrait que 150 jours par année à son rôle de chef du département technique de l’écurie basée à Milton Keynes.

Autosport soutenait par ailleurs que l’excellence du directeur technique Pierre Waché, un Français, n’a pas été reconnue à sa juste valeur au cours des dernières années et que ce dernier, ayant profité du mentorat de Newey, est sans doute prêt à assurer une transition sans heurts. On pourrait en discuter avec Williams, qui n’a plus remporté un seul titre depuis le départ de Newey en 1997. Ou à McLaren, qui n’a empoché qu’un titre des pilotes en 2008 depuis que Newey s’est joint à Red Bull il y a 19 ans.

Perdre un concepteur de cette qualité est une véritable catastrophe dans un univers aussi compétitif que la F1. Parce qu’en plus d’affaiblir les performances de vos monoplaces, le départ d’un tel cerveau renforce considérablement l’un de vos compétiteurs directs.

Et comme la rumeur envoie Newey du côté de Ferrari, il n’est pas difficile d’imaginer que la hiérarchie est à la veille d’être vigoureusement bousculée dans le paddock.

***

Peu doué pour les mathématiques, ce qui est ahurissant compte tenu des exigences de sa fonction, Adrian Newey savait dès l’âge de 12 ans qu’il allait gagner sa vie en dessinant des voitures de course. C’est un artiste qui conçoit encore ses monoplaces au crayon, pièce par pièce, assis à sa table à dessin. Ses adjoints s’occupent ensuite de numériser ses dessins et de les rendre en 3D.

Cela fait en sorte que lorsqu’il change d’employeur, Newey ne peut être accusé de plagier qui que ce soit. Après tout, ce qui se trouve dans son cerveau lui appartient.

Sa vaste expérience fait aussi de lui un redoutable adversaire pour les autres concepteurs du paddock.

À titre d’exemple, Newey étudiait en aérodynamique à la fin des années 1970. En tant qu’étudiant, le titre de son dernier travail était L’aérodynamique des effets de sol telle qu’elle s’applique aux voitures de course.

Voilà donc un concept sur lequel il a réfléchi durant plus de 40 ans, en plus d’avoir contribué à le faire progresser dès son arrivée dans l’univers de la course automobile au début des années 1980. Or, quand la F1 a décidé de réintroduire ce concept en 2022, des écuries comme Mercedes se sont royalement plantées. Red Bull a maîtrisé ce changement fondamental comme si de rien n’était et elle en a profité pour devenir dominante.

Dans son autobiographie, Newey raconte que le même phénomène s’était produit au début des années 2010 quand un nouveau règlement technique avait introduit en F1 les lourdes batteries capables d’emmagasiner l’énergie récupérée lors des freinages afin de pouvoir l’utiliser pour les relances.

Les autres concepteurs du paddock jugeaient que le meilleur endroit pour placer ces batteries se trouvait sous le réservoir à essence. Mais Newey préférait qu’on les positionne à l’arrière de la monoplace, derrière le moteur. En avançant le moteur le plus possible, il estimait que la monoplace de Red Bull allait être mieux équilibrée et que cela allait constituer un net avantage.

Après en avoir parlé avec ses ingénieurs, le designer en chef Rob Marshall est revenu voir Newey en affirmant que placer les batteries à l’arrière était impossible. Newey est revenu à la charge en divisant les batteries en quatre pour trouver l’espace nécessaire afin de les loger à l’arrière.

Cet avantage a joué un rôle clé dans nos conquêtes des titres des constructeurs et des pilotes en 2011, 2012 et 2013, explique Newey.

Désormais, Red Bull n’aura plus droit à de tels éclairs de génie.

***

Il y a quelques semaines, j’écrivais que l'on assistait à quelque chose de rare, soit l’implosion en direct de la dynastie de Red Bull.

Depuis le décès de Dieterich Mateschitz, les intérêts autrichiens qui détiennent près de la moitié des actions de Red Bull tentent de pousser Christian Horner vers la sortie. Cette guerre de pouvoir a d’ailleurs pris des proportions gigantesques juste avant le début de la présente saison quand une employée de l’écurie a déposé une plainte de harcèlement sexuel contre Horner.

La plaignante a été déboutée à la suite d'une enquête indépendante. Un appel a toutefois été interjeté.

Depuis, la marmite bout. Jos Verstappen (le père de Max, le pilote no 1 de Red Bull) a plusieurs fois réclamé la tête de Christian Horner. Et Max Verstappen a lui-même menacé de quitter l'équipe si son mentor, le vénérable Dr Helmut Marko, devait être sanctionné pour avoir tenté un putsch contre Horner.

À la suite du départ de Newey, Max Verstappen se retrouve maintenant Gros-Jean comme devant. Moins certain de bénéficier de la meilleure monoplace du plateau à compter de 2026, il ne serait pas étonnant qu’il consacre encore plus d’efforts à se dénicher un volant compétitif ailleurs.

Autosport rapporte aussi que, selon plusieurs écuries, les employés de Red Bull sont de plus en plus nombreux à s’enquérir de la possibilité d’aller travailler dans une autre équipe à compter de la saison prochaine.

Il sera extrêmement intéressant de voir ce que Christian Horner fera, lui qui a reçu son lot de coups de couteau dans le dos au cours des derniers mois et qui n’a toujours pas été trouvé coupable de quoi que ce soit.

Il semble improbable qu’il puisse rester chez Red Bull et tenter de réparer les dégâts, tout en sachant qu’une importante partie des actionnaires continuera à grenouiller dans son dos. Pourrait-il profiter de la conquête – fort probable – du titre de 2024 pour quitter à son tour l'écurie et tirer sa révérence en pleine… gloire? 

Il est difficile de savoir s’il y avait encore, chez Red Bull, des gens qui espéraient que les choses allaient finir par s’arranger. Mais s’il y en avait, il n’en reste probablement plus.

Parce qu'Adrian Newey est parti avec la potion magique.

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