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Le juge Joyal rejette la requête des avocats de Jeremy Skibicki d’exclure le jury

Jeremy Skibicki assis en silence dans le box des accusés, près de ses avocats, le premier jour de son procès, le 29 avril 2024.

Le juge en chef de la Cour du Banc du Roi du Manitoba, Glenn Joyal, a remis sa décision vendredi sur la demande de la défense qui souhaite que le procès ne soit pas tranché par un jury.

Photo : James Culleton

Le Winnipégois accusé des meurtres prémédités de trois femmes autochtones et d’une autre non identifiée sera jugé par ses pairs, comme prévu. Le juge en chef de la Cour du Banc du Roi du Manitoba, Glenn Joyal, a rejeté, vendredi matin, une requête des avocats de Jeremy Skibicki visant à lui éviter un procès devant jury.

Dans une brève décision rendue de vive voix, le juge a rappelé les faits pertinents de l’affaire avant de présenter les principaux arguments des deux parties, devant une cinquantaine de personnes assistant au procès et proches des victimes qui attendaient fébrilement sa décision dans la tribune.

La défense soutient, a-t-il dit, qu'il existe une crainte raisonnable de partialité qui ne peut être résolue dans le système de jury.

Pendant trois jours, les avocats de la défense ont en effet plaidé que la médiatisation importante de l’affaire rendait impossible la constitution d’un jury impartial.

Bien que l'on s'attende à ce que les jurés, tout comme les juges, soient façonnés par leur expérience - notamment celle des médias qu'ils consultent - dans le système judiciaire canadien, nous pensons que les jurés sont capables de se montrer à la hauteur des attentes élevées qu’exige leur rôle, afin de garantir un procès équitable à l'accusé, a déclaré Glenn Joyal.

Le jury peut se présenter au procès avec des préjugés, et il nous appartient, en tant que magistrats, de promouvoir et de garantir l'impartialité.

Une citation de Glenn Joyal, juge en chef de la Cour du Banc du Roi du Manitoba

Il a également souligné que les deux experts appelés par la défense avaient exprimé des opinions contradictoires quant à la possibilité de changer d’avis face à de nouvelles informations.

Il a ainsi choisi de limiter l’importance du témoignage de la psychologue américaine qui a été entendu mardi. Le juge Joyal a rappelé que Christine Ruva avait alors soutenu qu’il était pratiquement impossible pour un juré de changer d’avis après avoir été exposé à une importante couverture médiatique. Cette présomption de partialité, a-t-il dit, n'est pas conforme à la jurisprudence canadienne.

Il a également cité son manque évident de connaissances sur le système de jury canadien.

Finalement, le juge Joyal s’est dit préoccupé par le recours à un sondage d’opinion déposé en preuve par la défense dans le cadre de ses arguments.

Les avocats de la défense ont brièvement répondu aux questions de médias à la sortie du palais de justice de Winnipeg.

Leonard Tailleur et Alyssa Munce à la sortie du palais de justice.

Deux des avocats de Jeremy Skibicki, Leonard Tailleur, à droite, et Alyssa Munce, à gauche.

Photo : Radio-Canada / Karen Pauls

Nous avons offert des témoignages solides, nous pensions que nos arguments étaient impeccables , a dit Leonard Tailleur en riant.

C'est un long processus, a-t-il ajouté, précisant que le rejet de sa requête ne change pas du tout la stratégie de la défense.

Nous pouvons avoir des désaccords à ce sujet, mais ce sera pour des discussions futures.

La décision du juge Joyal a été rendue à l'issue d’un ultime effort des avocats de Jeremy Skibicki. C’est en effet la deuxième fois que la défense essuie un échec en tentant d’obtenir que l'affaire soit entendue uniquement par un juge.

Un sondage contesté

L'audience de lundi a permis d’entendre le témoignage de Quito Maggi, le président de Mainstreet Research, une société qui a réalisé un sondage d'opinion sur l'affaire Skibicki en février dernier.

Le sondage tentait notamment de déterminer si les répondants avaient entendu parler de l’affaire et s’ils avaient une opinion sur la culpabilité de l’accusé.

M. Maggi a défendu la validité des résultats du sondage qui avait été commandé par l’Aide juridique du Manitoba, où travaillent les avocats de la défense.

La procureure de la Couronne, Renée Lagimodière, a toutefois souligné que certaines questions lui paraissaient nébuleuses, puisqu’aucune information n'était offerte pour expliquer les concepts juridiques aux quelque 900 répondants.

Quito Maggi a reconnu que les résultats du sondage rendaient compte de l’attitude du public au sujet de leur compréhension de ces termes plutôt que de leur application dans un contexte judiciaire.

Le lendemain, ce sondage occupait toujours les échanges, la Couronne s’étant vivement opposée au témoignage de la psychologue américaine, Christine Ruva, qui a contribué à son élaboration.

Un sondage déposé en preuve.

La Couronne a souligné qu’aucune information n'était offerte dans le sondage pour expliquer les concepts juridiques aux quelque 900 répondants.

Photo : Cour du Banc du Roi du Manitoba

Le sondage, qui a été communiqué aux médias mardi, indique que 55 % des personnes interrogées reconnaissaient le nom de M. Skibicki, tandis que 90 % des répondants avaient entendu parler d'un homme de Winnipeg accusé de la mort de quatre femmes, dont, pour certaines d'entre elles, les restes se trouveraient dans une décharge.

En outre, 95 % des personnes interrogées avaient une opinion assez ou fortement négative au sujet de l’accusé, tandis que 81 % se sont dites convaincues de sa culpabilité.

La Couronne a contesté l’interprétation du résultat de plusieurs questions du sondage de Christine Ruva. Christian Vanderhooft a notamment souligné qu’il serait étrange que les répondants aient une opinion positive de M. Skibicki après que le sondage l'eut décrit comme l'homme accusé de la mort de quatre femmes.

Une question de partialité

Christine Ruva a consacré la majeure partie de son témoignage à remettre en question la possibilité de constituer un jury impartial dans le cadre de procès hautement médiatisés.

Le juge Glenn Joyal a interrompu la psychologue à plusieurs reprises, mardi, pour tenter de comprendre l'étendue de sa position, ainsi que ses conséquences potentielles pour le système judiciaire canadien.

Il a indiqué qu’elle semblait remettre en question l’un des piliers du système judiciaire, soit la possibilité de remédier à la partialité.

À ce sujet, Christine Ruva lui a répondu que la cour n’avait pas les outils nécessaires pour corriger les préjugés et qu’elle ne pouvait que les éliminer par l’exclusion des jurés qui ont des idées préconçues.

Nous ne cherchons pas à y remédier. Nous cherchons à l'éliminer, a-t-elle affirmé.

Les avocats de Jeremy Skibicki lors du premier jour de son procès, le 29 avril 2024.

Les avocats de Jeremy Skibicki lors du premier jour de son procès

Photo : James Culleton

La Couronne a remis en question ce raisonnement lors de son contre-interrogatoire.

Christian Vanderhooft a fait valoir qu’il n’était pas rare qu’un jury rende un verdict d’acquittement.

Tout le monde n'est pas déclaré coupable, même lorsque la médiatisation avant le procès est importante, a-t-il souligné.

Christian Vanderhooft a également affirmé que l’expertise de la psychologue se limitait au système judiciaire américain qui comporte d’importantes différences en matière de sélection des jurés, ainsi que de médiatisation des détails d’une enquête.

Christine Ruva a soutenu que ses conclusions étaient applicables au contexte canadien, puisque les biais cognitifs touchent tout le monde. La psychologue américaine a toutefois été incapable de répondre à une question du procureur au sujet de la requête de la défense et a confondu le rôle d’une autre procédure, décrivant l’emploi qui en est fait aux États-Unis.

Un témoignage pour ébranler le système de jury

Le témoignage de Christine Ruva était d’ailleurs au cœur des arguments finaux de la défense et de la Couronne, mercredi.

L’une des avocates de la défense, Alyssa Munce, a toutefois tenté d’en limiter la portée, soutenant que la psychologue n'exclut pas la possibilité de constituer un jury impartial. Son argument n'a pas semblé convaincre le juge Joyal.

Le procureur de la Couronne, Charles Murray, a plutôt insisté sur le fait que son témoignage avait comme conclusion logique d’effriter le droit constitutionnel de tout inculpé de bénéficier d'un procès avec jury, mais aussi la liberté de presse.

Il s'agit d'une utilisation dangereuse des sciences sociales. Nous prenons de fausses études sur de faux procès aux États-Unis et nous prenons une psychologue américaine pour ébranler l'ensemble de notre système de jury.

Alyssa Munce a pour sa part conclu sa plaidoirie finale, mercredi, ainsi : Les droits de M. Skibicki ont été violés [...] en raison des preuves soumises à la cour montrant que le bassin de jurés potentiels est partial et que les garanties en place sont insuffisantes pour y remédier.

Les audiences reprendront lundi, alors que la Couronne déposera une demande d’admission de preuves de faits similaires.

Les jurés, qui ont été sélectionnés jeudi dernier, devraient faire leur entrée au tribunal mercredi pour entendre le témoignage de l'un des policiers qui a interrogé l'accusé.

La défense, ayant déclaré son intention de plaider la non-responsabilité criminelle, tentera de faire la démonstration dans les semaines à venir que Jeremy Skibicki n’était pas en mesure de comprendre que son comportement était fautif en raison de troubles mentaux.

Pour obtenir de l’aide :

  • La ligne d’urgence nationale pour les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées est accessible sans frais, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, au 1 844 413-6649, pour soutenir toute personne qui a besoin de soutien émotionnel.

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