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Kanaval : d’Haïti au Québec, le déracinement à hauteur d’enfant

Une jeune homme est adossé sur le devant d'un camion les bras croisés et regarde vers le ciel.

À neuf ans, Rayan Dieudonné fait ses débuts au cinéma dans le rôle de Rico

Photo : Maison 4:3

Pour son premier long métrage, Kanaval, Henri Pardo a puisé dans son histoire personnelle afin de raconter celle de Rico, un enfant de neuf ans forcé de quitter Haïti avec sa mère pour s’installer au Québec, une terre lointaine aux coutumes étranges. Le film en français et en créole prend l’affiche vendredi.

Contrairement à Rico, incarné par l’étincelant Rayan Dieudonné, Henri Pardo est né à Edmundston, au Nouveau-Brunswick. Mais comme le personnage principal du film, ses parents ont quitté Haïti pour fuir le duvaliérisme, le régime dictatorial qui était en place au pays de 1957 à 1986.

Je m’inspire de faits vécus. Ma famille est sortie de l’Haïti duvaliériste à la fin des années 1960, contrairement à 1975 dans le film, et ils sont passés par Chicago pour aller au Nouveau-Brunswick, [avant de déménager au Québec]. On a pris des personnages réels, mais on a comprimé le temps et on a changé un peu le contexte, explique-t-il.

C’est raconté du point de vue d’un enfant à qui on n’explique pas nécessairement tout, mais qui est très intelligent, qui voit et qui ressent beaucoup.

Fuir le régime de Duvalier

Kanaval débute en plein carnaval à Jacmel, alors que le petit Rico, 9 ans, peine à contenir son excitation devant l’effervescence qui s’empare des rues de la ville. Mais derrière les carnavaliers déguisés en tontons macoutes, ces soldats de la milice privée du président, se cache un véritable danger pour sa mère, Erzuli, incarnée par Penande Estime.

Le film n’explique pas clairement pourquoi les véritables sbires de Duvalier sont à ses trousses, mais Henri Pardo affirme qu’il en fallait très peu à l’époque pour être soupçonné d’avoir les mauvaises allégeances politiques.

Dans certains cas, ils attrapaient effectivement des révolutionnaires communistes, mais d’autres fois, il suffisait d’avoir le mauvais livre à la maison, explique le cinéaste. Comme un livre de Dostoïevski. Parce qu’il est Russe, c’était du communisme, tout le monde était très surveillé.

Après avoir été agressée violemment par des soldats, Erzuli décide de quitter en douce le pays avec son fils Rico, pour finalement se retrouver, via Chicago, dans un village du Québec, où elle trouve un travail comme enseignante.

Une femme s'agenouille et regarde son fils.

Erzuli et Rico dans la maison de Cécile et Bébert, le couple qui les accueille au Québec

Photo : Maison 4:3 / Aziz Zoromba

Le Québec, terre d'accueil et d'hostilité

Au Québec, la mère et son fils sont hébergés par Cécile (Claire Jacques) et Bébert (Martin Dubreuil), qui les accueillent chaleureusement, gavant Rico de crêpes à la mélasse. La grande ouverture d’esprit du couple contraste d’ailleurs avec celle d’autres habitants du village, comme Gabouri (Sylvain Massé) qui ne se gêne pas pour donner des surnoms racistes au garçon.

Moi, je suis tombé sur un couple comme ça, d’un amour inconditionnel et surtout d’une curiosité, d’un amour de l’étranger, de l’inconnu. Ils étaient vraiment en amour avec ma mère, se souvient Henri Pardo.

Maintenant, Bébert n’arrive pas nécessairement à défendre le petit, il le met derrière lui mais il ne possède pas ce qu’il faut pour dire "hey, non". Ils sont remplis de défauts, mais c’est pour ça qu’ils sont attachants, ils ont beaucoup d’amour.

Un homme et un jeune garçon sont assis sur une botte de foin dans une étable.

Martin Dubreuil dans le rôle de Bébert, avec Rayan Dieudonné dans celui de Rico

Photo : Maison 4:3 / Aziz Zoromba

Le talent brut de Rayan Dieudonné

Dans le premier rôle de sa vie, le jeune Rayan Dieudonné est très convaincant dans la peau de Rico, qui comme lui a neuf ans et est né en Haïti. Il faut dire que les parcours de l’acteur et du personnage sont intrinsèquement liés.

Je ne m’attendais jamais à trouver quelqu’un qui a vécu une vie aussi similaire, je dirais même qu’il en a peut-être plus vécu que son personnage, explique Henri Pardo. Quand on l’a rencontré, ça faisait deux ans qu’il était ici, il est passé à travers sept pays avant d’arriver au Canada par le chemin Roxham.

Le réalisateur souligne l’énorme sensibilité du jeune garçon, ainsi que son sens de l’écoute. C'est une personne qui s’adapte énormément bien. À cause de son parcours, il a une vieille âme et il veut continuellement apprendre.

Entrevue avec Henri Pardo, réalisateur de « Kanaval »

La mythologie haïtienne à l’honneur

Kanaval alterne entre le drame et la comédie, mais il fait aussi une grande place au fantastique avec ses références à la mythologie haïtienne, personnifiée dans l’ami imaginaire de Rico, un jeune garçon à cornes du nom de Kana. C’est l’une des seules échappatoires du nouvel arrivant, complètement déboussolé par son déracinement et sa nouvelle réalité. À cause de son trauma, c’est juste ça qui le garde en vie. Sans ça, il tombe, illustre le réalisateur.

L’apparence de Kana est inspirée de la figure du lanceur de corde, un déguisement traditionnel des carnavals haïtiens qui implique de s’enduire le corps d’un mélange de charbon écrasé et de sirop de canne.

Ça représente les premiers Africains qui se sont libérés du joug des colonisateurs. Ils ont des cordes autour des poignets, qu’ils fouettent contre le sol pour représenter les chaînes qu’ils ont fracassées, explique Henri Pardo.

Après avoir remporté le prix du meilleur film canadien BIPOC au TIFF en septembre dernier, Henri Pardo espère maintenant que Kanaval saura rejoindre le cœur du public québécois. Un des plus grands rêves, ce serait de le présenter en Haïti et ailleurs dans les Antilles, parce que là-bas, le réalisme merveilleux est très présent, conclut-il.

Rayan Dieudonné est en nomination aux prix Écrans canadiens 2024 dans la catégorie Meilleure interprétation dans un premier rôle (drame), tout comme Martin Dubreuil pour le meilleur rôle de soutien. Henri Pardo est en lice pour le prix du Meilleur réalisateur et le Prix John Dunning du meilleur premier long métrage.

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